Article 73
Conservation et
protection des dossiers médicaux
(article R.4127-73 du code de la santé publique)
(commentaires révisés en 2003 )
Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents.
Il en va de même des informations médicales dont il peut être le détenteur.
Le médecin doit faire en sorte, lorsqu'il utilise son expérience ou ses documents à des fins de publication scientifique ou d'enseignement, que l'identification des personnes ne soit pas possible. A défaut, leur accord doit être obtenu.
Commentaires
1- Le dossier médical
Les documents médicaux concernant une personne s'adressant à un médecin sont très divers. Le présent code fait obligation à un médecin d'avoir au minimum une fiche d'observation (art. 45). Au maximum il peut s'agir d'un dossier médical volumineux, voire de plusieurs dossiers répartis entre plusieurs médecins intervenant séparément pour le même malade.
Le dossier médical est couvert par le secret médical et le médecin est personnellement responsable de sa protection contre toute indiscrétion. Il doit en assurer la conservation en prenant toutes les précautions utiles : locaux, armoires de classement fermés à clef et si les dossiers ne sont plus sous sa garde, s'assurer qu'ils sont archivés dans des conditions permettant d'en respecter la confidentialité.
Les dossiers enregistrés et conservés sur support informatique doivent faire l'objet d'une déclaration auprès de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés qui vérifiera la présence et le respect des dispositifs de sécurité tant physiques que logiques du système informatique : mise en place d'une gestion des accès différenciée tenant compte des attributions respectives des membres de l'équipe soignante, attribution à chaque utilisateur d'un mot de passe changé régulièrement, affichage systématique des date et heure de la dernière connexion sous le même mot de passe, instauration d'une procédure de sauvegarde journalière sur disquette, etc.
Dans les cabinets de groupe, le fichier médical est, dans la pratique, bien souvent commun. Il peut être alors consulté par les différents médecins du groupe qui sont appelés à se remplacer mutuellement, avec l'accord du patient. Mais un malade a le droit de demander à ce qu'un seul médecin du groupe connaisse son dossier. Chacun des médecins doit avoir ses fiches personnelles.
Des difficultés peuvent surgir lorsqu'un médecin décide de se dissocier du groupe. Il est donc souhaitable que, dès la constitution d'un cabinet de groupe, des dispositions contractuelles soient établies, afin que le problème de la transmission des données médicales puisse être réglé, sans conflit, en fonction de l'intérêt des malades
(voir note 1).
Dans les dispensaires de soins et les centres de santé, gérés par des organismes sociaux, la question est posée de savoir quel est "le propriétaire" des fiches médicales. Ces fiches ne peuvent être utilisées et consultées que par les médecins du dispensaire. Mais un médecin qui quitte le dispensaire ne peut prétendre emporter les fiches des malades qu'il a soignés ; il peut, cependant, y avoir accès, en cas de nécessité. Un arrêt de la Cour de Cassation du 28 octobre 1970 justifie cette disposition ; en effet, un médecin généraliste ayant exercé dans un centre médical mutualiste s'est vu débouté de sa demande que lui soient restituées toutes "les fiches établies par lui, et la correspondance médicale écrite par lui ou à lui adressée". L'argument invoqué par la Cour était que le fichier était l’œuvre collective des médecins du centre où le généraliste travaillait et à leur disposition "en particulier de celui qui reçoit ou va visiter le malade". Le dossier médical est donc dans ce cas particulier un document "collectif" à l'usage des médecins pratiquant dans ce centre ; ils n'ont donc "aucun droit de propriété sur les fiches médicales", ils en ont seulement la garde.
Le 11 février 1972, la section contentieuse du Conseil d'Etat adoptait une solution identique, estimant que "lorsqu'un malade s'adresse à un organisme qui pratique la médecine collective, c'est à l'ensemble du personnel médical de cet organisme que le secret médical est, en principe, confié...".
En cas de fermeture du dispensaire s'appliquent les dispositions de l’art. R.710-2-10 du code de la santé publique : "Lorsqu'un établissement de santé privé, ne participant pas à l'exécution du service public hospitalier cesse ses activités, les dossiers médicaux, sous réserve des tris nécessaires, peuvent faire l'objet d'un don à un service public d'archives par voie contractuelle entre le directeur de l'établissement et l'autorité administrative compétente".
2- En cas de cessation d'activité
Le devenir du fichier du médecin pose de nombreux problèmes, notamment en cas de décès du praticien
(voir note 2).
Pour éviter toute indiscrétion, il conviendrait que les fiches soient détruites. Mais les indications qu'elles portent peuvent être utiles et même indispensables pour la poursuite des soins ou pour la défense des ayants droit en cas de plainte tardive.
a) Lorsqu'un médecin quitte son poste pour exercer ailleurs ou prend sa retraite, la transmission de son fichier à son successeur ne peut être automatique. En effet, la "présentation du successeur à la clientèle" n'empêche nullement que les malades puissent choisir un autre médecin.
Il est normal que les malades demandent la transmission de leur fiche au médecin de leur choix.
Par ailleurs, les notes personnelles seront détruites.
Le médecin a, en conséquence, la responsabilité d'effectuer un tri dans son fichier et de détruire tout ce qui n'est pas transmis, dans l'intérêt des malades, à d'autres médecins.
b) Lorsque l'activité du médecin est brusquement interrompue, par sa mort ou par une maladie qui l'empêche de procéder au tri du fichier, son remplaçant ou le médecin qui va lui succéder doivent mettre en oeuvre, sur demande des malades, la transmission des fiches aux médecins désignés par eux. Dans ce but, le fichier doit donc être conservé plusieurs années : au minimum 10 ans si l'on s'aligne sur le délai de prescription des actions en matière de responsabilité médicale. Ce délai court à compter de la consolidation du dommage.
S'il n'y a pas de médecin successeur, la veuve du médecin ou ses héritiers recevront du conseil départemental de l'Ordre les avis et aides nécessaires pour les décisions à prendre quant au devenir du fichier restant.
3- Dossiers médicaux et médecine du travail
La convention collective du personnel des services interentreprises de médecine du travail prévoit dans son
article 10 : "Les services interentreprises s'engagent à prendre toutes dispositions utiles pour que le secret professionnel soit respecté dans les locaux qu'ils mettent à la disposition du personnel, notamment en ce qui concerne le courrier, les modalités de conservation des dossiers médicaux, quel qu'en soit le support...". Cette formulation est reprise dans le contrat du médecin du travail : « En ce qui le concerne, le Service interentreprises de santé au travail s'engage à prendre toutes dispositions utiles pour que le secret professionnel soit respecté dans les locaux qu'il mettra à la disposition du Dr …, notamment en ce qui concerne le courrier, les modalités de conservation des dossiers médicaux, quel qu'en soit le support (notamment numérisé), et l'isolement acoustique des locaux où sont examinés les salariés. »
Les dossiers médicaux du médecin du travail ne peuvent être communiqués qu'aux médecins-inspecteurs du travail, liés eux-mêmes par le secret et au salarié. Le principe posé par la loi du 4 mars 2002 d’un accès direct du patient aux informations le concernant s’applique en médecine de prévention.
Il est d'usage de conserver le dossier médical d'un salarié durant cinq ans lorsqu'il n'y a aucun risque actuel ou passé de maladie professionnelle indemnisable ou de maladie à caractère professionnel. Ce temps paraît insuffisant, notamment du fait de l'évolution de la connaissance de la pathologie, du suivi post-professionnel qui pourrait s'instaurer et du rôle du médecin du travail dans les enquêtes épidémiologiques rétrospectives. Si l'on envisage le rôle du médecin du travail dans les enquêtes épidémiologiques, comme le prévoit le décret de 1988
(voir note 3) , la conservation des dossiers médicaux pourrait être sans limite.
4- Dossiers médicaux et médecine scolaire
Les dossiers médicaux ne sont pas communicables à des tiers.
Le carnet de santé des enfants a un caractère confidentiel et nul hormis les personnes qui participent à la prise en charge médicale de l’enfant ne peut en exiger la communication (art. L.2132-1 du code de la santé publique).
Ce carnet doit être remis au médecin par les parents s’ils le jugent utile, en main propre, sous pli fermé.
5- Dossiers médicaux et médecine de contrôle
Les dossiers médicaux établis par les médecins-conseils des organismes d'assurance maladie ne peuvent être communiqués ni aux personnes étrangères au service médical, ni à une autre administration, conformément à
l'article 104 du code de déontologie.
Dans l'exercice de leurs missions, les médecins conseils des organismes d'assurance maladie ont accès, dans le respect des règles de déontologie médicale au dossier médical des patients accueillis ou hospitalisés dans les établissements publics ou privés de santé (art. L. 162-30-1 du code de la sécurité sociale).
6- Dossiers médicaux hospitaliers
L’exigence d’un dossier hospitalier n’a curieusement reçu de consécration légale qu’en 1970 pour en permettre la communication aux médecins appelés à donner des soins aux malades hospitalisés ou reçus en consultation externe.
A la suite de la jurisprudence du Conseil d'Etat (14 octobre 1981 – Laisné ; 22 janvier 1982 – Beau de Loménie), la loi hospitalière du 31 juillet 1991 a reconnu aux patients le droit d’accéder à leur dossier médical par l’intermédiaire d’un médecin. Cette condition est désormais levée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
L’article L.1112-1 du code de la santé publique prévoit : « Les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande, les informations médicales définies à l'article L. 1111-7. Les praticiens qui ont prescrit l'hospitalisation ont accès, sur leur demande, à ces informations. Cette communication est effectuée, au choix de la personne concernée, directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne ».
La reconnaissance de ce droit d’accès a amené à définir la composition du dossier communicable.
a) composition du dossier communicable
Selon l’art. R.710-2-2 du code de la santé publique (voir note
4). , « Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé. Ce dossier contient au moins les éléments suivants, ainsi classés :
1º Les informations formalisées recueillies lors des consultations externes dispensées dans l'établissement, lors de l'accueil au service des urgences ou au moment de l'admission et au cours du séjour hospitalier, et notamment :
a) La lettre du médecin qui est à l'origine de la consultation ou de l'admission ;
b) Les motifs d'hospitalisation ;
c) La recherche d'antécédents et de facteurs de risques ;
d) Les conclusions de l'évaluation clinique initiale ;
e) Le type de prise en charge prévu et les prescriptions effectuées à l'entrée ;
f) La nature des soins dispensés et les prescriptions établies lors de la consultation externe ou du passage aux urgences ;
g) Les informations relatives à la prise en charge en cours d'hospitalisation : état clinique, soins reçus, examens para-cliniques, notamment d'imagerie ;
h) Les informations sur la démarche médicale, adoptée dans les conditions prévues à l'article L. 1111-4 ;
i) Le dossier d'anesthésie ;
j) Le compte rendu opératoire ou d'accouchement ;
k) Le consentement écrit du patient pour les situations où ce consentement est requis sous cette forme par voie légale ou réglementaire ;
l) La mention des actes transfusionnels pratiqués sur le patient et, le cas échéant, copie de la fiche d'incident transfusionnel mentionnée au deuxième alinéa de l'article R. 666-12-24 ;
m) Les éléments relatifs à la prescription médicale, à son exécution et aux examens complémentaires ;
n) Le dossier de soins infirmiers ou, à défaut, les informations relatives aux soins infirmiers ;
o) Les informations relatives aux soins dispensés par les autres professionnels de santé ;
p) Les correspondances échangées entre professionnels de santé.
2º Les informations formalisées établies à la fin du séjour :
Elles comportent notamment :
a) Le compte rendu d'hospitalisation et la lettre rédigée à l'occasion de la sortie ;
b) La prescription de sortie et les doubles d'ordonnance de sortie ;
c) Les modalités de sortie (domicile, autres structures) ;
d) La fiche de liaison infirmière.
3º Informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers.
Sont seules communicables les informations énumérées aux 1º et 2º. »
b) L'archivage des dossiers s'effectue sous la responsabilité du directeur de l'établissement qui doit veiller à ce que toutes les dispositions soient prises pour assurer la garde et la confidentialité des dossiers :
- dans les établissements de santé publics ou privés participant au service public : les dossiers sont conservés conformément à la réglementation relative aux archives hospitalières
(voir note 5) ;
La destruction des dossiers exige l'accord conjoint du médecin responsable de la structure médicale concernée et du directeur de l'établissement.
Le personnel qui a la garde des dossiers est astreint au secret professionnel et ne peut rien communiquer sans l'accord du médecin responsable du service concerné.
- dans les établissements de santé privés : les dossiers sont conservés sous la responsabilité des médecins qui les ont constitués ou de celle des médecins désignés par le président de la conférence médicale d'établissement. Il n'existe pas de règle obligatoire concernant le délai de conservation des dossiers, mais la règle généralement appliquée est celle de la prescription des actions en matière de responsabilité médicale (art. L1142-28 du code de la santé publique).
7. Hébergement des données de santé
Le volume des archives est considérable et l'informatisation notamment dans les établissements de santé, permet d'envisager un système optimisé de stockage et de communication des informations médicales. La confidentialité des données nominatives concernant le malade obéit aux recommandations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
(voir note 6).
La loi du 4 mars 2002 (art. L.1111-8 du code de la santé publique) a néanmoins prévu que les professionnels de santé, les établissements de santé ou la personne concernée puissent déposer des données de santé à caractère personnel, recueillies ou produites à l’occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins auprès de personnes physiques ou morales agréées à cet effet. Cet hébergement des données ne peut avoir lieu qu’avec le consentement exprès de la personne concernée et fait l’objet d’un contrat.
Les conditions d’agrément des hébergeurs seront fixées par décret pris après avis de la CNIL et des Conseils des Ordres des professions de santé.
Les hébergeurs et les personnes placées sous leur autorité qui ont accès aux données déposées sont astreints au secret professionnel dans les conditions prévues à l’art. 226-13 du code pénal, soumis à des conditions strictes concernant le traitement et la conservation des données qui leur sont confiées. Ils relèvent du contrôle de l’IGAS.
8- Publications scientifiques et enseignement
L'anonymat des observations rapportées dans les publications scientifiques est une règle absolue.
Le malade ne doit être désigné que par un numéro d'ordre.
Les photographies, si elles comprennent le visage, doivent être masquées.
Si des détails de l'observation étaient de nature à permettre une identification facile, ils exposeraient l'auteur à des poursuites pour violation du secret.
Le médecin doit prendre toutes mesures pour que l'identification des personnes soit impossible lorsqu'il fait part de son expérience ou de ses documents aux fins de publication scientifique ou d'enseignement.
A défaut, il doit solliciter l'accord des malades dans le cas où leur anonymat ne peut être préservé.
Chaque fois que cela est possible, un système de codage doit rendre anonymes les dossiers consultés ou étudiés à des fins scientifiques, épidémiologiques et statistiques (art. R.710-5-18 du code de la santé publique, décret du 6 mai 1995).
Toutefois, certains travaux de recherche (études de pharmacovigilance, protocoles de recherche réalisés dans le cadre d'études coopératives nationales ou internationales), ou certaines particularités de la recherche nécessitent le recueil des informations sous forme nominative. De telles études, dérogatoires aux exigences d'anonymisation des données, doivent être autorisées par la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, après avis du Comité consultatif pour le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé.
Mais, dans tous les cas, la présentation des résultats du traitement des données ne peut en aucun cas permettre l'identification directe ou indirecte des personnes concernées
(voir note 7).
De même la plus grande discrétion est de mise lors d’un enseignement à l’université, à l’hôpital ou en formation continue. L’article L.1111-4, 6ème alinéa, rappelle que l’examen d’une personne dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable et que les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être informés des droits des malades et les respecter.
La médiatisation de la médecine a malheureusement entraîné de nombreuses dérives dans ce domaine et favorisé une certaine "médecine spectacle" que l'Ordre des médecins a sévèrement condamnée à plusieurs reprises.
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Notes
(1) Dusserre L., Le dossier médical dans les cabinets de groupe, Bulletin de l'Ordre des médecins février 1995
(2) Pouillard J., Devenir des dossiers médicaux d'un médecin cessant ou ayant cessé toute activité, octobre 1998
(3) Décret n° 88-1198 du 28 décembre 1988 modifiant l'article R.241-41 du code du travail.
(4) modifié par le décret n° 2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l'accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé en application des articles L. 1111-7 et L. 1112-1 du code de la santé publique
(5) Le règlement des archives hospitalières prévoit des durées différentes de conservation des dossiers médicaux (diagnostic, observation, comptes rendus d'examens, clichés radiographiques, électrogrammes) selon l'affection ou la discipline considérée. Seront conservés indéfiniment les dossiers d'affection de nature héréditaire susceptible d'avoir des répercussions pathologiques ou traumatisantes sur la descendance ; pendant 70 ans, les dossiers de pédiatrie, de neurologie et de maladies chroniques ; pendant 20 ans, les autres dossiers.
(6) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, art. 34, 35, 36.
(7) art. 43-3 de la loi n° 94-548 du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
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