Article 37
Soulagement des souffrances
(article R.4127-37 du code de la santé publique)
(commentaires révisés en 2003)
En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique.
Commentaires
Des années de recherches et de progrès thérapeutiques permettent aujourd'hui de mieux comprendre les mécanismes de la douleur et de la dominer.
1 – Douleur
Rupture de l'équilibre entre stimulation et inhibition de la nociception, la douleur physique peut revêtir différents aspects : douleur-symptôme, signe révélateur d'une affection aiguë, ou douleur-maladie, indicateur d'évolution d'une affection chronique, rhumatismale, neurologique ou cancéreuse. Leur résonance est bien différente selon le patient. La douleur aiguë peut donner, par sa localisation même, une orientation diagnostique, évocatrice de traitement et de guérison alors que la douleur chronique constitue parfois le rappel lancinant d'un pronostic fatal. Il faut aussi évoquer les douleurs-fantômes, bien connues après amputation, qui témoignent de ce stockage mnésique de la douleur. La réponse psychique à la douleur physique est la souffrance, douleur de l'âme, angoisse et deuil devant la trahison du corps. Douleur et souffrance envahissent le champ de la conscience du malade et contribuent à accroître son sentiment de solitude. Le comportement du patient, en réponse à la douleur physique, varie en fonction de sa personnalité, de sa culture, de son niveau émotionnel, de son angoisse existentielle ; révolte ou résignation, plainte ou silence, repliement sur soi, agressivité sont les manifestations extérieures classiques de la souffrance exprimée par le malade, que devra interpréter le médecin. Il doit cependant tenir le plus grand compte de ce que traduit le malade, même s'il ne trouve pas de cause à la souffrance exprimée.
L'évolution de la société doit être également prise en compte. Dans les pays occidentaux, le seuil de la douleur s'est abaissé. Etant donné les progrès de la médecine et de la science, la notion pervertie de douleur "rédemptrice" (dolorisme) a été remplacée par le refus légitime de la douleur, de toute douleur. Des centres anti-douleurs ou unités pluridisciplinaires, spécialisés dans le diagnostic et le traitement des douleurs chroniques se sont créés, en France, appliquant le concept de "pain clinic", né outre-Atlantique.
La loi (voir note 1) consacre désormais le droit de toute personne malade dont l'état le requiert à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement, et à s'opposer à toute investigation ou thérapeutique.
Prolongeant les efforts faits depuis 1980 par la communauté médicale française, la loi impose le développement des services et unités de soins palliatifs dans les établissements hospitaliers, organise la formation initiale et continue des médecins à cette prise en charge, la recherche et l'évaluation dans ce domaine.
2- Rôle du médecin
Devant le malade douloureux, l'incurable ou le mourant (art. 38) , le médecin obéit à un double impératif : assurer contrôle de la douleur et la prise en charge psychologique. L'intervention du médecin ne peut se réduire aux seuls actes techniques qui mettent en jeu sa compétence et son expérience. Il aura une écoute attentive, de la compréhension, de la discrétion et manifestera tout ce que lui dictent sa conscience et son humanité.
(voir note 2)
a ) L'approche du patient ayant une douleur aiguë ou celle du malade douloureux chronique, évoluant depuis plusieurs mois ou même années et dont l'histoire est parsemée d'échecs thérapeutiques, demande au praticien une attention particulière pour évaluer la douleur et décrypter l'expression de la souffrance.
L'importance de l'entretien initial doit être soulignée. Certains repères
(voir note 3) méritent d'être cités : le praticien doit montrer au malade qu'il reconnaît la réalité de sa souffrance, lui faire exprimer les interprétations qu'il a pu faire du discours médical antérieur, ne pas se présenter comme "le sauveur" d'une situation que le malade considère comme désespérée, éviter certains préjugés en faveur d'une organicité ou d'une cause psychologique systématique ou de la recherche par le malade d'un avantage économique ; donner au patient sur "son mal" toutes les précisions qu'il sollicite, ses causes et leurs conséquences, dans un langage clair et adapté à son niveau de compréhension (art. 35)
(voir note 4). La démarche étiologique est l'étape suivante ; elle demande une réflexion clinique approfondie et le recours à des investigations complémentaires accompagnées d'un traitement simultané de la douleur.
b ) Ce traitement de la douleur fait appel à des moyens thérapeutiques variés, dont la mise en œuvre est actuellement bien codifiée : médicaments antalgiques et co-analgésiques, techniques anesthésiques et neurochirurgicales, kinésithérapie, etc. ; l'emploi des stupéfiants tient une place importante.
Les obstacles, de principe ou pratiques, à la prescription adéquate d'antalgiques doivent finir de tomber, sans pour autant que soient favorisés des abus ou détournements à des fins de toxicomanie. L'assouplissement de la délivrance des stupéfiants ne supprime pas les risques auxquels sont exposés médecins et pharmaciens, mais ces professionnels connaissent d'autres risques et doivent prendre toutes dispositions pour faciliter le traitement des malades qui en ont besoin.
En reprenant toute cette argumentation, le président L. René concluait son éditorial du Bulletin de l'Ordre en janvier 1992 par cette recommandation pressante : "Ne dites plus : c'est une douleur insoutenable, traitez-la !".
c ) Par ailleurs, la lutte contre l'inconfort dont souffrent les grands malades et les agonisants a progressé : l'aspiration des sécrétions, les soins buccaux et cutanés, l'oxygénation, une hydratation convenable et le maintien d'un équilibre hydro-électrique correct... atténuent considérablement cet inconfort. Soins curatifs et soins palliatifs ne s'excluent pas, ils doivent souvent s'associer.
d ) La complexité de la décision médicale, devant le malade en fin de vie, est abordée dans cet article. Il précise, en effet, que le médecin doit éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations et la thérapeutique ; en d'autres termes, il doit se garder de l'acharnement thérapeutique. La question se pose avec acuité lorsque le praticien doit établir le diagnostic d'incurabilité. Deux possibilités d'erreur sont à évoquer. L'erreur par défaut : la pathologie est curable et le médecin renonce trop tôt ; ou au contraire l'erreur par excès : le médecin impose des investigations invasives, sans visée thérapeutique, et des soins douloureux difficiles à supporter pour le patient, afin de prolonger sa vie de quelques jours dans des souffrances supplémentaires inutiles.
Dans cette prise de décision interviennent non seulement le médecin, grâce à l'évaluation médicale de la situation, du pronostic, des résultats attendus, mais aussi le patient et ses proches. Là encore, une écoute attentive du malade, de ses souhaits, de sa souffrance, un profond respect de sa liberté et de sa volonté, une bonne communication avec sa famille, sont fondamentaux pour établir un climat d'authenticité.
"Si l'éthique des sciences de la vie et de la santé, écrit Emmanuel Hirsch
(voir note 5), vise à préserver la personne humaine dans sa dignité, mais également dans le sens transcendant de son existence, encore est-il indispensable qu'elle maintienne vive et constante l'exigence de relation, de rencontre avec l'autre. Un rapport de proximité, d'intériorité, d'intimité qui s'exprime en termes de responsabilité partagée".
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Notes
(1) Art. L.1110-5, 3ème alinéa du code de la santé publique : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée et traitée. ». Art. L.1110-9 du code de la santé publique : « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. » (Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 )
(2) Déontologie médicale et soins palliatifs- Ordre national des médecins, 1996
(3) Quéneau P., Ostermann G., Le médecin, le patient et sa douleur- Paris : Masson, 1994- Comment aborder le malade souffrant p.45-51.
(4) Art. L.1111-2, 1er alinéa du code de la santé publique : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé… » (Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 ).
(5) Hirsch E., Médecine et éthique : le devoir d'humanité- Paris : Cerf, 1990 : 11-25.
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